Regard sur la nouvelle « Charte de l’ingénieur et du scientifique responsables » d’IESF
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Échange avec Jérémie Supiot
Article rédigé par Camille Scotté, Observatoire des Formations Citoyennes
Plus de vingt ans après la parution de la première charte éthique à destination des ingénieurs en France1, l’association Ingénieur et scientifiques de France (IESF) en publie une version renouvelée intitulée « Charte de l’ingénieur et du scientifique responsables ». Celle-ci liste vingt-deux recommandations à caractère non juridique à destination des ingénieurs et des scientifiques, en poste ou en devenir2. Alors que cette nouvelle version pourrait améliorer la visibilité de la charte d'IESF, cet article en présente les modifications principales ainsi que les conditions d'élaboration. Pour cela, à l’Observatoire des Formations Citoyennes (OFC), nous avons eu l’opportunité d’échanger3 avec l'un de ses auteurs, Jérémie Supiot.
Philosophe de formation, Jérémie s’intéresse aux ingénieurs depuis plusieurs années, notamment aux questions éthiques et environnementales autour de la technique. Il participe à des recherches sur la culture et la formation des ingénieurs au sein du Collectif Études Pluridisciplinaire Sur l'Ingénierie4.
Par rapport à la charte de 2001 dont elle a conservé un certain nombre d'éléments, cette nouvelle version s'en différencie par un engagement social et environnemental beaucoup plus marqué. On peut par exemple y lire que l’ingénieur et le scientifique « considèrent les ressources naturelles comme des biens communs à gérer et à partager », ou encore « qu’ils privilégient l’innovation technique quand celle-ci permet le progrès social et le respect de l’environnement ». L’ingénieur n’est plus alors simplement « source d'innovation et moteur de progrès », comme indiqué dans la version de 2001. Les notions d’esprit critique, d’interdisciplinarité, de contexte local ou de transparence ont par exemple également été ajoutées ou renforcées. Sur la forme, un travail de clarification considérable a été mené. Structurée en trois parties, les recommandations s’adressent distinctement à l’ingénieur (1) en tant qu’individu, (2) en tant qu’acteur d’un collectif de travail, ou (3) en tant que membre de la société. De plus, chaque recommandation est accompagnée d’un « principe clé » qui en facilite le référencement (principe de rationalité, de discernement, d’assertivité, etc.). Enfin, un lexique - donné en annexe mais central pour une compréhension fine de la charte - permet de clarifier les concepts mobilisés et de préciser les contours de la charte, tout en conservant sa concision.
La charte a été principalement élaborée par huit contributeurs et contributrices issus du réseau d’IESF qui y ont travaillé pendant environ un an, à partir de fin 2020. Parmi eux, des représentants ou membres d’IESF, un représentant du BNEI (Bureau National des Elèves Ingénieurs), une représentante du réseau Fève5, une enseignante en éthique, un avocat, et Jérémie6. Selon ce dernier, cette diversité de profils a créé des échanges intéressants et fait émerger des problématiques communes, « les décalages dans l’interprétation de certains termes ont en effet nécessité plus de temps mais ont aussi généré plus de richesse ».
Au départ, pas de cahier des charges pré-défini par IESF, ni de modèle de charte sur lequel s’appuyer. Même si d'autres chartes existent par ailleurs7-8« Nous avons vraiment fait l’effort de partir d’une page blanche en se demandant : Quelles sont les responsabilités des ingénieurs et des scientifiques ? Puis en avançant, chacun a amené ses références personnelles ». Après une première étape en commun, trois sous-groupes ont été formés, un groupe par section de la charte. La relecture a été assurée plusieurs bénévoles aux expertises différentes (élèves-ingénieurs, ingénieurs, entrepreneurs, …), avant validation finale par IESF.
Sans aucun doute, créer ce type de charte implique un travail conséquent de discussion et de recherche de consensus. « La plupart du temps, des accords ont été trouvés à l’issue des échanges, et dans les rares cas contraires, nous avons procédé par vote », explique Jérémie. Un des points qui a suscité de nombreuses discussions se situe dès le préambule de la charte qui « souhaite être un outil d’aide pour les ingénieurs et les scientifiques responsables qui peuvent parfois se retrouver dans un environnement de travail en désaccord avec leurs valeurs » (cf charte). C’est le terme de désaccord qui a fait débat : « A l’origine, nous avions proposé « conflit de valeurs », mais nous nous sommes rendu compte que pour, beaucoup de contributeurs, le terme de conflit était trop fort, puisqu’il renvoyait à un constat d’échec de ne pas avoir trouvé une solution commune ».
S’accorder sur les termes est en effet important, car même si la charte n’a pas de valeur légale, elle engage d’une certaine manière IESF. Pour Jérémie, une autre difficulté dans l’écriture d’une charte comme celle-ci, « c’est qu’il faut toujours trouver le bon équilibre entre le droit d’un côté, et l’éthique ou la morale de l’autre ». Car, selon lui, « le but d’une charte, ce n’est pas simplement de rappeler le droit, c’est aussi d’aller plus loin. La question est aussi de savoir jusqu’où on peut aller, tout en restant dans le cadre de la loi. »
Certains questionneront l’utilité pratique d’une telle charte. Jérémie y voit déjà un intérêt dans le fait même qu’elle puisse permettre de générer des discussions voire d’autres créations de chartes. En effet, le but de cette charte « n’est pas de définir une fois pour toute ce que sont les responsabilités de l’ingénieur et du scientifique, mais de jeter des bases de réflexion » - la vocation principale de cette charte n’étant pas d’être un simple document signé, mais d’être portée, étudiée et utilisée. Pour résumer, l'un des buts de cette charte nous dit Jérémie, c’est « qu'elle vive, qu’on en parle, qu'on en discute, et surtout qu’on en débatte. »
Ce sera d’ailleurs l’objectif d’un atelier organisé par l’OFC lors de notre assemblée générale, le 28 janvier, ce qui donnera lieu à de nouvelles publications sur le site web et les réseaux. Affaire à suivre donc.
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La charte et le lexique sont accessibles ici. IESF est à la disposition des écoles qui le souhaitent pour présenter cette charte aux étudiants et étudiantes, et animer les échanges.
1 - Charte d'Ethique de l'Ingénieur (2001) : http://home.iesf.fr/offres/doc_inline_src/752/150731_Charte_ethique.pdf
2 - Même si dans les faits, la charte s'applique principalement à la profession d'ingénieur, le milieu de la recherche étant doté de sa propre éthique et déontologie (par exemple la Charte française de déontologie des métiers de la recherche https://www.hceres.fr/fr/CharteFrancaiseIntegriteScientifique)
3 - L'échange avec Jérémie a été réalisé en visioconférence le 20 octobre 2022 lors du CA élargi de l’OFC, par les membres suivants de l'Observatoire des Formations Citoyennes : Nathan Coutable (coordinateur général), Marc Gallien (Représentant de l’OFC), Baptiste Oudart (chargé de projet Ingénieur Sans Frontières), Camille Scotté, Béatrice Jalenques-Vigouroux (enseignante-chercheuse en information et communication), Catherine Adam (enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation et en sciences du langage) et Emmanuel Rozière (enseignant-chercheur en génie civil)
4 - Collectif EPSI : https://www.linkedin.com/company/collectif-epsi/
5 - Association qui accompagne les salariés à agir dans leur entreprise pour accélérer la transition écologique et solidaire
https://reseaufeve.org/
6 - Les noms et fonctions sont détaillés dans la charte
7 - Charte d'Ingénieurs sans frontières : https://www.isf-france.org/sites/default/files/charte_isf.pdf
8 - Code de déontologie des ingénieurs (Canada) : https://www.uottawa.ca/faculte-genie/leadership-gouvernance/code-deontologie#:~:text=L'ing%C3%A9nieur(e)%20doit,du%20bien%2D%C3%AAtre%20des%20personnes.
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Regard sur la nouvelle « Charte de l’ingénieur et du scientifique responsables » d’IESF
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Échange avec Jérémie Supiot
Article rédigé par Camille Scotté, Observatoire des Formations Citoyennes
Plus de vingt ans après la parution de la première charte éthique à destination des ingénieurs en France1, l’association Ingénieur et scientifiques de France (IESF) en publie une version renouvelée intitulée « Charte de l’ingénieur et du scientifique responsables ». Celle-ci liste vingt-deux recommandations à caractère non juridique à destination des ingénieurs et des scientifiques, en poste ou en devenir2. Alors que cette nouvelle version pourrait améliorer la visibilité de la charte d'IESF, cet article en présente les modifications principales ainsi que les conditions d'élaboration. Pour cela, à l’Observatoire des Formations Citoyennes (OFC), nous avons eu l’opportunité d’échanger3 avec l'un de ses auteurs, Jérémie Supiot.
Philosophe de formation, Jérémie s’intéresse aux ingénieurs depuis plusieurs années, notamment aux questions éthiques et environnementales autour de la technique. Il participe à des recherches sur la culture et la formation des ingénieurs au sein du Collectif Études Pluridisciplinaire Sur l'Ingénierie4.
Par rapport à la charte de 2001 dont elle a conservé un certain nombre d'éléments, cette nouvelle version s'en différencie par un engagement social et environnemental beaucoup plus marqué. On peut par exemple y lire que l’ingénieur et le scientifique « considèrent les ressources naturelles comme des biens communs à gérer et à partager », ou encore « qu’ils privilégient l’innovation technique quand celle-ci permet le progrès social et le respect de l’environnement ». L’ingénieur n’est plus alors simplement « source d'innovation et moteur de progrès », comme indiqué dans la version de 2001. Les notions d’esprit critique, d’interdisciplinarité, de contexte local ou de transparence ont par exemple également été ajoutées ou renforcées. Sur la forme, un travail de clarification considérable a été mené. Structurée en trois parties, les recommandations s’adressent distinctement à l’ingénieur (1) en tant qu’individu, (2) en tant qu’acteur d’un collectif de travail, ou (3) en tant que membre de la société. De plus, chaque recommandation est accompagnée d’un « principe clé » qui en facilite le référencement (principe de rationalité, de discernement, d’assertivité, etc.). Enfin, un lexique - donné en annexe mais central pour une compréhension fine de la charte - permet de clarifier les concepts mobilisés et de préciser les contours de la charte, tout en conservant sa concision.
La charte a été principalement élaborée par huit contributeurs et contributrices issus du réseau d’IESF qui y ont travaillé pendant environ un an, à partir de fin 2020. Parmi eux, des représentants ou membres d’IESF, un représentant du BNEI (Bureau National des Elèves Ingénieurs), une représentante du réseau Fève5, une enseignante en éthique, un avocat, et Jérémie6. Selon ce dernier, cette diversité de profils a créé des échanges intéressants et fait émerger des problématiques communes, « les décalages dans l’interprétation de certains termes ont en effet nécessité plus de temps mais ont aussi généré plus de richesse ».
Au départ, pas de cahier des charges pré-défini par IESF, ni de modèle de charte sur lequel s’appuyer. Même si d'autres chartes existent par ailleurs7-8« Nous avons vraiment fait l’effort de partir d’une page blanche en se demandant : Quelles sont les responsabilités des ingénieurs et des scientifiques ? Puis en avançant, chacun a amené ses références personnelles ». Après une première étape en commun, trois sous-groupes ont été formés, un groupe par section de la charte. La relecture a été assurée plusieurs bénévoles aux expertises différentes (élèves-ingénieurs, ingénieurs, entrepreneurs, …), avant validation finale par IESF.
Sans aucun doute, créer ce type de charte implique un travail conséquent de discussion et de recherche de consensus. « La plupart du temps, des accords ont été trouvés à l’issue des échanges, et dans les rares cas contraires, nous avons procédé par vote », explique Jérémie. Un des points qui a suscité de nombreuses discussions se situe dès le préambule de la charte qui « souhaite être un outil d’aide pour les ingénieurs et les scientifiques responsables qui peuvent parfois se retrouver dans un environnement de travail en désaccord avec leurs valeurs » (cf charte). C’est le terme de désaccord qui a fait débat : « A l’origine, nous avions proposé « conflit de valeurs », mais nous nous sommes rendu compte que pour, beaucoup de contributeurs, le terme de conflit était trop fort, puisqu’il renvoyait à un constat d’échec de ne pas avoir trouvé une solution commune ».
S’accorder sur les termes est en effet important, car même si la charte n’a pas de valeur légale, elle engage d’une certaine manière IESF. Pour Jérémie, une autre difficulté dans l’écriture d’une charte comme celle-ci, « c’est qu’il faut toujours trouver le bon équilibre entre le droit d’un côté, et l’éthique ou la morale de l’autre ». Car, selon lui, « le but d’une charte, ce n’est pas simplement de rappeler le droit, c’est aussi d’aller plus loin. La question est aussi de savoir jusqu’où on peut aller, tout en restant dans le cadre de la loi. »
Certains questionneront l’utilité pratique d’une telle charte. Jérémie y voit déjà un intérêt dans le fait même qu’elle puisse permettre de générer des discussions voire d’autres créations de chartes. En effet, le but de cette charte « n’est pas de définir une fois pour toute ce que sont les responsabilités de l’ingénieur et du scientifique, mais de jeter des bases de réflexion » - la vocation principale de cette charte n’étant pas d’être un simple document signé, mais d’être portée, étudiée et utilisée. Pour résumer, l'un des buts de cette charte nous dit Jérémie, c’est « qu'elle vive, qu’on en parle, qu'on en discute, et surtout qu’on en débatte. »
Ce sera d’ailleurs l’objectif d’un atelier organisé par l’OFC lors de notre assemblée générale, le 28 janvier, ce qui donnera lieu à de nouvelles publications sur le site web et les réseaux. Affaire à suivre donc.
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La charte et le lexique sont accessibles ici. IESF est à la disposition des écoles qui le souhaitent pour présenter cette charte aux étudiants et étudiantes, et animer les échanges.
1 - Charte d'Ethique de l'Ingénieur (2001) : http://home.iesf.fr/offres/doc_inline_src/752/150731_Charte_ethique.pdf
2 - Même si dans les faits, la charte s'applique principalement à la profession d'ingénieur, le milieu de la recherche étant doté de sa propre éthique et déontologie (par exemple la Charte française de déontologie des métiers de la recherche https://www.hceres.fr/fr/CharteFrancaiseIntegriteScientifique)
3 - L'échange avec Jérémie a été réalisé en visioconférence le 20 octobre 2022 lors du CA élargi de l’OFC, par les membres suivants de l'Observatoire des Formations Citoyennes : Nathan Coutable (coordinateur général), Marc Gallien (Représentant de l’OFC), Baptiste Oudart (chargé de projet Ingénieur Sans Frontières), Camille Scotté, Béatrice Jalenques-Vigouroux (enseignante-chercheuse en information et communication), Catherine Adam (enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation et de la formation et en sciences du langage) et Emmanuel Rozière (enseignant-chercheur en génie civil)
4 - Collectif EPSI : https://www.linkedin.com/company/collectif-epsi/
5 - Association qui accompagne les salariés à agir dans leur entreprise pour accélérer la transition écologique et solidaire
https://reseaufeve.org/
6 - Les noms et fonctions sont détaillés dans la charte
7 - Charte d'Ingénieurs sans frontières : https://www.isf-france.org/sites/default/files/charte_isf.pdf
8 - Code de déontologie des ingénieurs (Canada) : https://www.uottawa.ca/faculte-genie/leadership-gouvernance/code-deontologie#:~:text=L'ing%C3%A9nieur(e)%20doit,du%20bien%2D%C3%AAtre%20des%20personnes.
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